mercredi 8 janvier 2014

La septième poule


Dans le poulailler du Père Barbu vivaient six poules. Trois étaient blanches et trois étaient rousses. Les blanches ne pondaient jamais d'oeufs. Les rousses pondaient des oeufs roses tous les jours.

Mais les rousses laissaient les blanches couver leurs oeufs, de sorte que le Père Barbu était convaincu que toutes les poules pondaient, un jour sur deux. En retour, les poules blanches s'occupaient des poules rousses. Elles leurs apportaient des vers de terre fraichement déterrées et se chargeaient du cot-cot-cot matinal pendant que les rousses faisaient la grasse matinée.

Le poulailler était heureux. Jusqu'au jour où le Père Barbu ouvrit la porte et fit rentrer une petite poule grise.

"Les filles, leur annonça-t-il, voici une nouvelle copine. Soyez gentilles avec elle."

Les blanches et les rousses accoururent lui souhaiter la bienvenue, mais la petite grise s'éloigna et alla se coucher dans un coin en n'adressant la parole à personne.



Le lendemain, il y avait un bel oeuf blanc sous la petite poule grise. Jamais au poulailler on n'avait vu de si bel oeuf, si gros et si blanc. Le Père barbu la félicita et ramassa les trois autres oeufs.

Et tous les jours qui suivirent, la petite poule grise pondait un bel oeuf blanc.

Jamais elle ne prêta son oeuf, et jamais elle ne parla avec ses voisines rousses et blanches.

Plus le Père Barbu la félicitait, plus les autres poules s'inquiétaient. Elles craignaient de faire toutes remplacer par d'autre poules grises et leurs oeufs quotidiens. Les poules dont on ne veut plus, c'est bien connu, passent à la casserole!

Une nuit vint un terrible orage. Aucune poule n'arrivait à dormir dans se vacarme. Soudain une large branche tomba sur un flanc du poulailler qui s'écroula dans un craquement assourdissant. Les poules s'agitèrent dans tous les sens. Et si un renard venait?
- il faut nous mettre à l'abris dans la grange, ordonna une blanche.

Les trois blanches partirent bravement en tête. Juste derrière elles, les trois rousses, inquietes, suivaient. La petite grise fermait la marche.


Lorsqu'elles eurent traversé la cour, les poules se retrouvèrent saines et sauves dans la grange. le gros chien brun du Père Barbu dormait dans la paille, il les protègerait des renards. Elles poussèrent des soupirs de soulagement.

Mais très vite on remarqua l'absence de la petite grise. On l'avait perdue lors de la traversée de la cour.





Les blanches refusèrent de ressortir la chercher. Elle qui ne s'était jamais donné de mal pour partager ses beaux oeufs, méritait-elle qu'on l'aide maintenant?
Mais les rousses étaient d'avis qu'une poule est une poule, même timide, même égoiste, et qu'on ne pouvait pas la laisser dans le danger de l'orage et des renards.

Dehors, on n'y voyait presque rien. Les rousses dirent aux blanches: vous êtes si claires avec vos plumes blanches, la petite vous verra de loin. Les blanches avaient un peu peur, alors les rousses les accompagnèrent. Elles sortirent dans le noir de la cour et se mirent à caqueter de toutes leurs forces en secouant leurs plumes.

Enfin, une petite tâche sombre se détacha d'un buisson et se dandina péniblement vers elles. La poule grise les avaient retrouvées!

Toutes les sept retournèrent à l'abris de la grange. Les rousses et les blanches se serrèrent  autour de la petite grise.
- Cot-cot, commença une grosse blanche, l'air en colère.
- Cot-cot-cot, renchérit une seconde en fronçant les sourcils.
La petite poule grise ne disait rien et regardait par terre. Puis elle releva la tête et dit "Cowwwwt". Cela ne ressemblait à rien de ce que les six autres connaissaient.
- Cowt? interrogea une rousse en écarquillant les yeux.
- Qu'est-ce que ça veut dire, cowt? demanda une blanche.
- Cowt, repris la grise.
- Cowt? répondit une autre blanche.
- Je crois que c'est de l'anglais! s'exclama une rousse.
- De l'anglais! Une petite anglaise! Elle ne comprend rien à notre bavardage, voilà le problème!

Bientôt, les cowt-cowt fusèrent de partout. Tout le monde essayait de caqueter en anglais. La petite poule grise était ravie. En anglais, elle remercia ses nouvelles amies d'un cowt-cowt et se lança à un timide cot-cot en français.

Depuis, dans le poulailler (réparé) franco-anglais du Père Barbu, le calme est revenu. Tous les deux jours, la petite grise fait rouler son oeuf blanc dans un nid voisin. Elle s'amuse parfois à couver un œuf rose, mais elle trouve aussi qu'un nid vide est agréablement spacieux.

Le père Barbu s'est brièvement étonné de la ponte erratique de ses poules et a mis ce changement sur compte de l'orage qui a dû les perturber.

La petite grise donne des leçons de cowt-cowt tous les jeudis.



Copyright Christine Pitzer 2014

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